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La responsabilité des ministres en droit constitutionnel français

mai 2011

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En l'espace de quelques mois, pas moins de deux ministres ont été attraits devant la Cour de justice de la République. Ce fut d'abord le cas d'Éric Woerth, ministre chargé du Budget, pour son implication dans la session à vil prix de certaines parcelles de l'hippodrome de Compiègne. Vint ensuite l'accusation faite par le parti socialiste à l'encontre de Christine Lagarde, ministre de l'Économie et des Finances pour son autorisation du recours à l'arbitrage dans l'affaire opposant Bernard Tapie au Crédit lyonnais. Les membres du gouvernement peuvent voir leur responsabilité engagée. Ils doivent, en effet, rendre compte de leurs actes. Leur responsabilité est dite politique lorsqu'elle est engagée devant un autre organe politique et juridictionnel, devant une juridiction.    

La responsabilité politique des ministres

La responsabilité politique des ministres est engagée de manière officielle devant l'Assemblée nationale et de manière officieuse devant le président de la République.

  Le gouvernement est collectivement responsable devant l'Assemblée nationale, organe dont il est issu. Il peut engager sa responsabilité de son propre chef devant cet organe en lui posant une question de confiance (article 49 alinéa 1 de la Constitution[1]) ou en ayant recours à l'article « 49 alinéa 3 »[2]. L'Assemblée peut également, de son propre chef, décider de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement en lui adressant une « motion de censure » prévue à l'article 49 alinéa 2 de la Constitution[3]. Néanmoins, cette procédure est extrêmement délicate à mettre en ½uvre. Au moins un dixième des députés doit se rallier à cette décision ; 48 heures après le dépôt de la motion, il est procédé à un vote qui doit rassembler la majorité des membres de l'Assemblée nationale. Les absents et les votes blancs ou nuls sont réputés être favorables au gouvernement. En outre, le vote est public et se fait à la tribune. Ces conditions rationalisent tellement la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale que seul un gouvernement a été contraint à la démission : celui du gouvernement Pompidou en 1962.

  Par ailleurs, les membres du gouvernement sont responsables politiquement devant le président de la République. Il s'agit là d'une responsabilité tacite, en ce sens qu'elle n'est pas prévue par la Constitution et conjoncturelle puisqu'elle n'existe qu'en concordance des majorités parlementaire et présidentielle. Les institutions de la Ve République sont, en pratique, dominées par le président de la République. L'une des manifestations de cette omnipotence réside précisément dans le pouvoir de révocation de fait du Premier ministre et des ministres par le président. En revanche, en période de cohabitation, le chef de l'État se voit affaibli par le camouflet de la non-reconduction de sa majorité à l'Assemblée. Il perd alors son pouvoir de révocation des ministres.

La responsabilité juridictionnelle des ministres

Les ministres peuvent se voir traduits devant les juridictions pénales (à raison de crimes ou de délits) ou civiles (pour le reste). Si la responsabilité civile des ministres obéit aux règles de droit commun, leur responsabilité pénale est, elle, spéciale. Les ministres bénéficient en effet d'un privilège de juridiction.  

Les membres du gouvernement doivent répondre des crimes ou délits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Jusqu'en 1993, la responsabilité pénale des ministres était identique à celle mise en place sous les IIIe et IVe Républiques. Les ministres devaient comparaître devant la Haute Cour de justice. La lecture faite de l'article 68 de la Constitution, tel qu'il était rédigé, la composition de la Haute Cour de justice ainsi que la procédure en vigueur devant elle conduisaient à une quasi-impunité des ministres. L'affaire du sang contaminé a profondément ébranlé ce système contraignant les pouvoirs publics à réviser la Constitution. Désormais, les ministres sont désormais jugés, pour les crimes et délits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, en rapport direct avec la conduite des affaires de l'État, par la Cour de justice de la République. Cette juridiction pénale spéciale est composée de douze parlementaires ainsi que de trois conseillers à la Cour de cassation. Elle peut être saisie directement par un justiciable ou par le procureur près la Cour de cassation.  

De fait, la Cour de justice de la République déçoit. Nombreux sont les ministres à avoir été traduits devant elle en sortant, si ce n'est indemnes, du moins peu affectés. Le procès du sang contaminé en 1999 aboutit à innocenter Laurent Fabius et Goergina Dufoix quand Edmond Hervé est « dispensé de peine ». Ségolène Royale est également relaxée dans une affaire de diffamation. Charles Pasqua, récemment jugé en 2010, est certes condamné pour recel d'abus de biens sociaux, mais sa peine d'emprisonnement est assortie de sursis. La Cour examine actuellement la recevabilité des requêtes engageant les responsabilités pénales d'Éric Woerth et de Christine Lagarde.    

Emilie Morel    

[1] Article 49 alinéa 1 de la Constitution : « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ».

[2] Article 49 alinéa 3 de la Constitution : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».

[3] Article 49 alinéa 2 de la Constitution : « L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l'alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.

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