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La responsabilité pénale des personnes morales de droit public

juin 2009

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La réforme du Code pénal en 1994 a profondément modifié le champ de la responsabilité pénale en autorisant l'engagement de la responsabilité des personnes morales. Appliqué aux personnes morales de droit public, le principe de la responsabilité pénale soulève cependant de nombreuses difficultés.

  La reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales fut l'élément le plus novateur, mais également le plus contesté, de la réforme du Code pénal réalisée par la loi du 22 juillet 1992, entrée en vigueur au 1er mars 1994.

L'article 121-2 du Code pénal pose le principe selon lequel « les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».  

D'emblée, l'article 121-2 du Code pénal reconnaît la nature particulière de l'État, excluant sa responsabilité pénale. Mais le code prévoit également des modalités particulières d'engagement de la responsabilité des collectivités territoriales.

Il est donc nécessaire, avant d'aborder les modalités d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public, de déterminer au préalable quelles sont les conditions d'engagement de leur responsabilité.  

Les conditions de l'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public

L'article 121-2 du Code pénal fonde la responsabilité pénale sur l'existence de la personnalité morale.

Son champ est ainsi limité aux seules entités ayant une existence autonome, à l'exclusion des entités administratives non personnalisées, telles la plupart des régies ou des autorités administratives indépendantes.  

Parmi les personnes morales de droit public, le code opère une distinction : l'État, dont la responsabilité pénale ne peut être engagée, les collectivités territoriales et leurs groupements, dont la responsabilité pénale est conditionnée et enfin les autres personnes, dont la responsabilité pénale est largement reconnue.  

L'irresponsabilité pénale de l'État  

L'irresponsabilité pénale de l'État ne fait aucun doute, l'article 121-2 du Code pénal prévoyant explicitement que « les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement ».

La justification à cette exception réside dans le fait que l'État étant le seul dépositaire du droit de punir, il ne peut s'infliger à lui-même des sanctions pénales.  

L'irresponsabilité pénale de l'État n'empêche pas pour autant la recherche de sa responsabilité, sur d'autres fondements (responsabilité contractuelle, délictuelle, quasi-délictuelle).  

La responsabilité pénale conditionnée des collectivités territoriales et de leurs groupements  

L'article 121-2 du Code pénal limite la responsabilité des collectivités territoriales et de leurs groupements en prévoyant qu'ils « ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public ».

La responsabilité pénale des collectivités territoriales ne peut être recherchée que dans le cadre d'une activité de service public - administrative ou industrielle et commerciale - pouvant faire l'objet d'une délégation.

Il faut donc supposer que l'activité est exercée par la collectivité elle-même - en régie - et que l'infraction soit commise dans le cadre de celle-ci. A contrario, la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements ne peut être recherchée dans plusieurs situations : d'abord lorsque l'activité n'est pas constitutive d'une activité de service public ; lorsqu'ensuite l'activité a été déléguée à un tiers, qu'il s'agisse d'une personne morale de droit public ou de droit privé ; lorsqu'enfin l'activité - bien qu'exercée par la collectivité - n'est pas susceptible de faire l'objet d'une délégation de service public.  

La dernière situation est la plus délicate à apprécier, car elle suppose que le juge judiciaire procède à une réflexion sur le caractère délégable de l'activité.

De façon générale, la jurisprudence judiciaire opère une distinction entre les activités d'organisation du service public, par nature indélégables, et celles relatives à l'exploitation du service, qui peuvent être confiées à des tiers.  

La distinction entre ces deux types d'activités n'est pas toujours aisée et peut donner lieu à des interprétations divergentes entre les différentes juridictions.

À partir de la jurisprudence, il est cependant possible d'établir une distinction entre les activités insusceptibles de délégation, entraînant l'irresponsabilité pénale des collectivités et de leurs groupements et celles qui, au contraire, entraînent une telle responsabilité.

Toutefois, cette présentation ne saurait être complète, car elle est largement tributaire de l'appréciation du juge, en l'absence de clef de répartition législative.  

L'irresponsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements dans l'exercice d'activités non délégables  

La Cour de cassation considère d'une façon générale que les missions liées à l'organisation d'un service public ne sauraient être déléguées à des tiers.

Par conséquent, leur exercice ne peut entraîner la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des collectivités territoriales ou de leurs groupements.

La Cour de cassation a ainsi eu l'occasion de rappeler que « si l'exploitation du service des transports scolaires est susceptible de faire l'objet d'une délégation de service public, il n'en va pas de même de son organisation ».

Ainsi, la responsabilité d'une commune ne saurait être recherchée en cas d'accident causé par l'implantation d'un abribus près d'un carrefour dangereux, car le choix des lieux d'arrêt des bus de transport scolaire relève de l'organisation du service public et non de son exploitation (Cass. crim., 6 avril 2004, département de l'Orme, AJDA, 2005, p. 446 et s., note Le Goff).  

La jurisprudence judiciaire et administrative interdit également la délégation de certaines activités en raison de leur nature propre.

Ainsi, le juge administratif a toujours exclu que l'exercice de missions de police administrative soit confié à des tiers de l'administration (CE, 17 juin 1932, ville de Castelnaudary, Rec. 595, D., 1932, 3, p. 26 et s., conclusions Josse).

Cela n'interdit pas pour autant la délégation de toute activité liée à la police administrative. Ainsi une commune peut-elle confier la surveillance du stationnement communal payant à un tiers dès lors que la délégation n'emporte pas de transfert des prérogatives de police du stationnement, telles que le pouvoir de constater et de sanctionner des infractions (CE, 1er avril 1994, commune de Menton, Dr Adm., novembre 1994, p. 1 et s., conclusions Lasvignes, RDP, 1994, p. 1825 et s., note Auby).  

Le juge judiciaire reconnaît également que certaines activités ne sont pas susceptibles d'être déléguées à des tiers.

La question de la responsabilité pénale des collectivités territoriales a en particulier été soulevée dans l'affaire du Drac, dans laquelle de nombreux enfants avaient trouvé la mort ou avaient été blessés à la suite d'un lâcher d'eau réalisé par EDF dans le lit du Drac alors qu'ils étaient en classe découverte.

Contrairement aux juges du fond qui estimaient que l'activité de classe découverte est une mission purement accessoire au service public de l'enseignement, et par suite délégable, la Cour de cassation a reconnu que « l'animation des classes de découverte pendant le temps scolaire constitue une activité du service public de l'enseignement public qui, par sa nature même, n'est pas susceptible de faire l'objet de conventions de délégation de service public » (Cass. crim., 12 décembre 2000, Bull. crim., n° 529, p. 3, Bull. inf. C. cass., 2001, n° 529, p. 3 et s., conclusions Commaret).  

La délimitation de la notion d'activité non délégable n'est pas toujours aisée pour le juge, et soulève régulièrement des controverses.

À l'inverse, il arrive fréquemment que les juges reconnaissent le caractère délégable d'autres activités, ouvrant ainsi droit à l'engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements.  

La responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements dans l'exercice d'activités délégables Pour qu'elle entraîne sa responsabilité pénale, l'activité d'une collectivité territoriale doit  selon la jurisprudence judiciaire  avoir pour objet un service public, lequel peut, eu égard à sa nature et en l'absence de dispositions légales ou réglementaires contraires, être confié à un tiers public ou privé rémunéré, pour une part substantielle, en fonction des résultats de l'exploitation (Cass. crim., 3 avril 2002, Société SGTE Travaux électriques, commune de Saint-Maur-des-Fossés et Compagnie AXA Assurances, BJCP, 2002, n° 24, p. 367 et s., conclusions Commaret).

La Cour de cassation explicite ainsi la distinction entre les activités d'organisation du service public et celles liées à son exploitation.

Le juge judiciaire reconnaît que la responsabilité pénale des collectivités territoriales ou de leurs groupements peut être recherchée lors de l'exploitation d'un domaine skiable (Cass. crim., 14 mars 2000, Bull. crim., n° 114), d'un théâtre (Cass. crim., 3 avril 2002, op. cit.), des transports scolaires (Cass. crim., 6 avril 2004, op. cit.), d'un parcours de santé (TGI Saint-Étienne, 6 mai 1996, commune de Châteauneuf, RFDA, 1999, p. 932 et s.), d'une station de traitement de résidus urbains (CA Montpellier, 22 octobre 2002, commune de V.), d'une piscine municipale, équipement de loisir de la commune, s'agissant de la pollution d'un cours d'eau par déversement de substances chlorées lors des opérations de vidange (CA Amiens, 3 mars 2004, commune de Poix-de-Picardie).  

La responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements est ainsi limitée à la reconnaissance pas forcément aisée du caractère délégable de l'activité ayant donné lieu au dommage.  

La responsabilité pénale pleine et entière des autres personnes morales de droit public

Dans le silence de l'article 121-2 du Code pénal, les autres personnes publiques que l'État ou les collectivités territoriales et leurs groupements encourent une responsabilité dans les mêmes conditions que des personnes morales de droit privé, sans préjudice de la nature de leurs activités. Les juridictions répressives peuvent ainsi rechercher la responsabilité pénale des établissements publics, qu'ils exercent des missions administratives (EPA) ou industrielles et commerciales (EPIC), des groupements d'intérêt public (GIP), des établissements publics de santé, des autorités administratives indépendantes dotées de la personne morale (telle que l'Autorité des marchés financiers - AMF) ainsi que des personnes publiques sui generis, telle la Banque de France.  

Les conditions de l'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public sont complexes car elles dépendent du type de personne morale impliquée. Mais une fois la possibilité d'engager la responsabilité acquise, encore faut-il déterminer les modalités d'engagement de la responsabilité pénale.  

Les modalités d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public

Pour que la responsabilité pénale des personnes morales de droit public soit effectivement engagée, il faut qu'une infraction soit commise.

La constatation de celle-ci entraîne la mise en oeuvre de sanctions du comportement fautif.  

La commission d'une infraction par une personne morale de droit public  

Appliquée aux personnes morales de droit public, la notion d'infraction revêt une signification particulière et conduit à l'application de règles spécifiques tenant à la notion d'infractions susceptibles d'être commises par des personnes morales ainsi qu'à leur imputation aux personnes publiques.  

L'application de la notion d'infraction aux personnes morales  

Le régime de l'infraction applicable aux personnes publiques a évolué depuis la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales en 1994.

À l'origine, cette responsabilité était limitée aux seuls « cas prévus par la loi et le règlement » afin de cantonner son champ d'application par un principe de spécialité.

Concrètement, il s'agissait pour le législateur d'éviter les situations absurdes dans lesquelles des personnes morales seraient accusées d'infractions qu'elles ne peuvent, matériellement, commettre, telles qu'une agression à main armée ou un viol.  

Logique en théorie, le principe de spécialité a cependant entraîné de nombreuses difficultés pratiques, tenant à l'interprétation des dispositions du Code pénal. Pour y mettre fin, le législateur a, par la loi du 9 mars 2004 dite Perben II, supprimé le principe de spécialité et étendu la responsabilité pénale des personnes morales à toutes les infractions recensées par le Code pénal. Il faut cependant noter une exception notable pour les délits de presse écrite ou audiovisuelle.  

Appliquée aux personnes morales de droit public, la notion d'infraction ne présente pas de particularités, les personnes publiques pouvant être sanctionnées pour les mêmes comportements fautifs que les personnes privées.

En revanche, les conditions d'imputation de l'infraction sont spécifiques aux personnes morales de droit public.  

L'imputation de l'infraction aux personnes publiques  

Pour que la responsabilité pénale d'une personne morale de droit public soit engagée, encore faut-il que l'infraction lui soit imputable, c'est-à dire qu'elle doit en être à l'origine.

Pour qu'une infraction lui soit imputable, il faut qu'elle ait été réalisée  selon l'article 121-2 du Code pénal  par ses organes, par ses représentants ou pour son compte.  

S'agissant des organes des personnes publiques, il faut faire une distinction en fonction de la personne.

Dans les collectivités territoriales en premier lieu, sont des organes les autorités collégiales (les assemblées délibérantes et les organes collégiaux d'exercice de la fonction exécutive, tels que les commissions permanentes et les bureaux des conseils généraux et régionaux) ainsi que les autorités individuelles (les exécutifs locaux tels que les maires, les présidents de conseils régionaux ou généraux et les membres des bureaux dans les départements et les régions).

Dans les établissements publics en deuxième lieu, il s'agit essentiellement des présidents et, le cas échéant, des vice-présidents, des conseils d'administration, des directeurs et des assemblées délibérantes.

Dans les autres personnes morales de droit public en dernier lieu, la détermination des organes doit être opérée au cas par cas, suivant la structure de l'entité (il s'agit par exemple du gouverneur et des autres membres du conseil de la politique monétaire pour la Banque de France).   Les organes de la personne ne sont pas les seuls à pouvoir engager la responsabilité pénale de la personne publique, qui peut également être imputée à son représentant.

La délimitation de cette catégorie n'est cependant pas aisée, car, contrairement à l'organe, le représentant doit justifier de sa qualité pour pouvoir agir au nom de la personne, car ce n'est pas statutairement qu'il détient ses pouvoirs.

En pratique, sont les représentants d'une personne publique ses mandataires, les personnes titulaires d'une délégation de compétence.

En revanche, les préposés de la personne morale (fonctionnaires territoriaux et agents contractuels) ainsi que les délégataires de service public ne sont pas ses représentants et leurs actions ne peuvent, par conséquent qu'engager leur responsabilité pénale propre.  

L'infraction peut ne pas avoir été commise par les organes ou les représentants de la personne publique mais par un tiers.

La responsabilité pénale de la personne morale ne pourra alors être recherchée que si le tiers a agi pour le compte de la personne morale.

La jurisprudence judiciaire interprète largement cette disposition et l'action constitutive de l'infraction doit seulement présenter un lien avec l'organisation, le fonctionnement ou la réalisation de la mission de la personne morale pour engager sa responsabilité pénale.  

Une fois l'infraction commise et son imputation à une personne morale de droit public établie, les juridictions répressives peuvent prononcer des sanctions pénales.  

La sanction des infractions des personnes morales de droit public  

En raison de leur nature particulière, les personnes morales ne peuvent faire l'objet de sanctions privatives de liberté (emprisonnement).

Les sanctions applicables aux personnes morales sont en partie différentes de celles pouvant être infligées aux personnes physiques.

En revanche, il n'existe que des différences minimes entre les sanctions des personnes morales de droit privé et celles des personnes morales de droit public.  

Comme toutes les personnes morales, les sanctions des personnes publiques varient suivant la nature de l'infraction : contraventionnelle, délictuelle ou criminelle.

La peine principalement encourue est l'amende (article 131-24 du code), pouvant aller jusqu'à 1 000 000 euros en cas de crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue par le Code pénal pour les personnes physiques (article 131-38 du code).

Au titre des autres sanctions  prévues à l'article 131-39 du code les juges répressifs peuvent contraindre la personne condamnée à un affichage ou une diffusion de la décision, mais également prononcer la confiscation de certains biens (ne relevant toutefois pas du domaine public), exclure les personnes des procédures de marchés publics, leur interdire d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, etc.  

Les seules peines que les juges ne peuvent prononcer à l'encontre des personnes publiques sont celles prévoyant la dissolution ou le placement sous surveillance judiciaire d'une personne morale.

Le législateur a expressément exclu les personnes morales de droit public de ce dispositif (article 131-39 du code), considérant qu'une telle sanction porterait atteinte au principe de continuité du service public.  

Sébastien MARTIN

Pour en savoir plus sur la responsabilité pénale des personnes morales de droit public :   Ouvrages : - Conte (P.), Maistre du Chambon (P.), Droit pénal général, Paris, Armand Colin, 7e éd., 2004, 394 p. - Desportes (F.), Le Gunehec (F.), Droit pénal général, Paris, Économica, 14e éd., 2008, 1228 p.   Articles de doctrine : - Guettier (C.), La responsabilité pénale des collectivités territoriales en question(s) - Les collectivités locales, Mélanges en l'honneur de Jacques Moreau, Paris, Économica, 2003, p. 201 et s. - Lévy (A.), Jurisprudence sur la responsabilité pénale des personnes publiques, Dr Adm., 1re partie, juin 2004, étude 12, 2e partie, juillet 2004, étude 14. - Mayaud (Y.), Conditions de la responsabilité pénale - Lamy collectivités territoriales, responsabilités. Personnes publiques. Élus locaux. Agents territoriaux, Paris, Éditions Lamy, 2007, étude 170. - Picard (É.), La responsabilité pénale des personnes morales de droit public : fondements et champ d'application, Rev. sociétés, 1993, p. 261 et s. - Raimbault (P.), La discrète généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, AJDA, 2004, p. 2427 et s.  

    

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