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Mais que signifie la notion juridique de « séparation des pouvoirs » ?

octobre 2010

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L'article 16 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen énonce que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il convient, d'une part, de relater les origines du principe de séparation des pouvoirs (I), de préciser ensuite les modalités de sa mise en oeuvre (II) et pour en déceler enfin les failles (III).  

 Les origines du principe de séparation des pouvoirs

Aristote identifie le premier une séparation des fonctions. Il indique ainsi dans sa Politique que « Dans tous gouvernements, il y a trois pouvoirs essentiels (...). Le premier est celui qui délibère des affaires de l'État [le pouvoir législatif]. Le deuxième comprend toutes les magistratures ou pouvoirs constitués, c'est-à-dire ceux dont l'État a besoin pour agir [le pouvoir exécutif]. Le troisième embrasse les offices de juridiction [le pouvoir juridictionnel[1]]. Bien plus tard, en 1690, John Locke distingue lui aussi trois pouvoirs : le pouvoir législatif, exécutif et fédératif. Ce dernier pouvoir a trait aux rapports de l'État avec les puissances étrangères. L'auteur anglais va plus loin qu'Aristote puisqu'il surajoute à la séparation des fonctions une spécialisation des organes. Ainsi, le Roi est chargé des pouvoirs exécutifs et fédératifs, lorsqu'il revient au Parlement d'exercer le pouvoir législatif. La séparation des pouvoirs, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est le fruit des réflexions de Montesquieu dans son Esprit des lois publié en 1748. Aux différentes « puissances », « puissance législative », « puissance exécutive », « puissance de juger » correspondent des organes compétents pour les exercer. Au Roi la puissance exécutive, aux représentants de la nation la puissance législative, aux « gens ordinaires » la puissance de juger. Cette séparation des fonctions, combinée à une spécialisation des organes, est de nature à garantir la liberté. Puisque le pouvoir arrête le pouvoir, les abus que pourrait être tentée de commettre une autorité omnipotente sont prévenus. Cette théorie sera reprise par les révolutionnaires américains, et notamment par Thomas Jefferson, lors de la rédaction de la Constitution. John Adams, le deuxième président des Etats-Unis, explique à cet égard que : « seul l'équilibre de ces pouvoirs entre eux [législatif, exécutif et juridictionnel] peut réfréner les tendances de la nature humaine à la tyrannie, les tenir en échec et préserver quelque liberté dans la Constitution ». C'est exactement dans cette optique que les révolutionnaires français inscrivent dans le marbre de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».  

Les deux modalités de séparation des pouvoirs

Bien que les constitutions américaines et françaises fassent la part belle au principe de séparation des pouvoirs, celui-ci n'est pas mis en oeuvre de manière identique dans ces deux États. On distingue, en droit constitutionnel, deux modes de séparation des pouvoirs. Celle-ci peut être rigide, elle s'incarne alors dans le régime dit présidentiel. Elle peut également être souple, elle génère alors un régime parlementaire.

  • Le régime présidentiel  

Le régime présidentiel réalise une séparation rigide des pouvoirs. Suivant cette configuration, les pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel sont plus que simplement séparés, ils n'ont aucun moyen de pression les uns sur les autres. Les organes exécutifs ne peuvent dissoudre les institutions ayant en charge le pouvoir législatif et inversement, celles-ci ne peuvent mettre en cause la responsabilité du chef de l'État ou du chef de gouvernement. Il existe alors « une double irrévocabilité politique »[2] L'exécutif est nécessairement monocéphale. Une seule personne se voit confier la totalité du pouvoir exécutif. Le Président est non seulement chef d'État, mais encore chef de Gouvernement. Il exerce sa fonction grâce à l'assistance de collaborateurs que sont, suivant les pays, les secrétaires d'État ou les ministres. Cette domination du Président sur l'exécutif explique que ce régime soit décrit comme « présidentiel ». L'importance de la fonction de Chef d'État est, du reste, renforcée par son élection au suffrage universel direct. Ce mode du scrutin lui assure d'une part une indépendance à l'égard du Parlement, puisque son investiture est populaire, et lui confère d'autre part une légitimité indéniable, lui permettant de mener à bien sa politique. Si la fonction exécutive est, par principe, monocéphale, le parlement peut être composé d'une ou de plusieurs chambres. Aux États-Unis, archétype du régime présidentiel, le Parlement est bicaméral (la Chambre des Représentants reflète la population américaine lorsque le Sénat est composé de sénateurs chargés de porter les intérêts de leur Etat au niveau fédéral). En revanche le Pérou et le Venezuela ont mis en place un régime présidentiel dans lequel la fonction législative n'est confiée qu'à un seul organe. Les pouvoirs sont strictement séparés, en ce sens qu'aucun organe ne peut mettre en cause la responsabilité politique des autres. Il ne faudrait, pour autant, pas en déduire que chaque pouvoir exerce son office, en ignorant les autres. Les organes sont fatalement conduits à collaborer. La formule de J. et J.-E Gicquel est, sur ce point, tout à fait percutante ; ces derniers expliquent que « vu de l'extérieur, le Président est fort ; vu de l'intérieur, il ressemble à Gulliver »[3]. Le Chef de l'État doit, de manière systématique, négocier avec les parlementaires pour faire voter sa politique. L'exemple de la réforme de l'assurance santé, promise par le Président Obama, est topique. Dans un régime de séparation stricte, l'exécutif ne dispose pas de moyens juridiques de contrainte. Le Président des États-Unis ne pouvait qu'inciter les parlementaires composant la très courte majorité démocrate à voter cette réforme. Il n'a néanmoins pas choisi cette voie et « plutôt que de courtiser les parlementaires, il s'est adressé à l'opinion »[4]. C'est en s'appuyant sur sa base populaire, en ne cherchant pas à faire pression sur le Parlement et en respectant, finalement, la logique du régime présidentiel, que celui-ci est parvenu à réaliser une de ses promesses de campagne.  

  • Le régime parlementaire  

Le régime parlementaire apparaît comme le négatif du régime présidentiel. La séparation n'est plus rigide mais souple en ce sens que les pouvoirs exécutif et législatif disposent de moyens d'action réciproque. Le pouvoir exécutif peut dissoudre le Parlement et inversement, le pouvoir législatif peut mettre en jeu la responsabilité politique du Gouvernement. Une forte collaboration adjointe à une dépendance mutuelle permet de qualifier les régimes parlementaires de régime de séparation souple. Dans un tel régime, le pouvoir exécutif est nécessairement bicéphale. Celui-ci est incarné d'une part, par un chef de Gouvernement, dont la responsabilité politique peut être mise en cause, et d'autre part, par un chef d'État, irresponsable politiquement, garant de la continuité de l'État. A. Thiers, en 1829, rend compte de cette répartition des rôles au sein de l'exécutif par sa célèbre formule « le Roi règne, mais ne gouverne pas. Tout se fait au nom du Roi, rien ne se fait par lui ».

L'exécutif, dans un régime parlementaire, peut adopter deux formes distinctes. L'exécutif moniste est détenu par un Gouvernement très puissant et un Chef de l'État occupant un simple rôle honorifique. L'exécutif dualiste, en revanche, fait une place sensiblement plus importante au chef de l'État puisqu'il lui est reconnu des pouvoirs, au premier rang desquels se trouve celui de nommer le chef du Gouvernement. En conséquence, ce dernier est politiquement responsable devant le chef de l'État. Il peut également se voir confier le droit de dissolution, la promulgation des lois, le commandement des armées, etc. Dans la mesure où le chef de l'État est politiquement irresponsable, ces actes doivent, généralement, être contresignés par un membre du Gouvernement. Les liens unissant le Gouvernement, cette « cheville ouvrière »[5] du régime parlementaire, et le Parlement sont très forts. En premier lieu, le Gouvernement est issu du Parlement. Il ne peut mener à bien son office qu'avec la confiance des assemblées. Cette confiance peut être testée de plusieurs façons. Le Gouvernement peut engager sa responsabilité devant le Parlement. Il souhaite ainsi recueillir l'assentiment du pouvoir législatif. Les parlementaires peuvent également voter une motion de censure, témoignant de leur défiance envers le Gouvernement. La responsabilité politique de ce dernier est alors collective, elle touche tous les ministres et non un seul en particulier. Le XXe siècle a vu naître une forme particulière de régime parlementaire : le régime parlementaire rationalisé. Il s'agit d''inscrire dans le marbre constitutionnel, les pratiques, jusqu'alors établies empiriquement, présidant aux rapports entre pouvoirs législatif et exécutif. Cette emprise poursuit une fin bien déterminée, celle de garantir la stabilité de l'exécutif lorsque celui-ci ne dispose pas d'une large assise parlementaire. Des techniques sont alors codifiées permettant de discipliner les parlementaires. Il en va ainsi des motions de censure constructives en Allemagne (le chancelier ne peut être destitué que si le Bundestag en désigne un autre par une majorité qualifiée), de la fixation de l'ordre du jour par le Gouvernement, de l'engagement de responsabilité sur un texte etc.  

Les failles de la séparation des pouvoirs

La présentation, classique, de la séparation des pouvoirs souffre plusieurs critiques. Il convient tout d'abord de constater un certain décalage entre la séparation des fonctions et la séparation des organes, la distinction entre régimes parlementaire et présidentiel peut ensuite apparaître par trop schématique, il importe enfin de relativiser la séparation des pouvoirs lorsque les majorités gouvernementale et parlementaire coïncident.  

  • Le décalage entre la séparation des fonctions et la séparation des organes  

Séparation des fonctions et spécialisation des organes sont traditionnellement associées pour décrire la conception contemporaine de la séparation des pouvoirs. Cette représentation ne se retrouve néanmoins pas, aussi clairement, dans le droit positif. Ainsi, pour ce qui concerne la France, et plus particulièrement la Ve République, le pouvoir de faire des lois n'est pas attribué, exclusivement, au Parlement. Ce dernier peut en effet déléguer au Gouvernement son pouvoir. La pratique des décrets-Lois des IIIe et IVe Républiques a été conservée, bien qu'elle soit désignée, selon l'article 38 de la Constitution, comme celle des ordonnances. De la même façon, le Gouvernement peut tolérer que le Parlement s'immisce dans sa sphère de compétence d'application des lois[6]. Une telle porosité entre les pouvoirs peut être constatée à propos des autorités juridictionnelles. La qualité de juridiction du Conseil constitutionnel, si elle a pendant longtemps été discutée voire contestée, fait aujourd'hui bien moins débat. Le développement de ses compétences par la question prioritaire de constitutionnalité lui assure une telle considération. On pourrait alors s'attendre à une véritable indépendance de cette institution. Or, la procédure de nomination de ses membres (désignés par le Président de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat) jette une suspicion sur cette autonomie.  

  •  Le schématisme de la distinction entre régime parlementaire et régime présidentiel  

La distinction entre régime parlementaire et régime présidentiel apparaît, lorsqu'elle est confrontée à la réalité des systèmes constitutionnels, par trop théorique. De nombreuses études sont ainsi menées conduisant à contester l'originalité du régime présidentiel. L'exemple des États-Unis permet de relativiser cette distinction. Concernant tout d'abord l'indépendance des pouvoirs, les juges fédéraux sont nommés par le Président, avec l'assentiment du Sénat. Ces deux pouvoirs sont donc amenés à collaborer pour nommer les détenteurs du troisième. De même, le Président américain n'est pas élu au suffrage universel direct, mais par des grands électeurs (suffrage universel indirect). Plus encore, si ceux-ci ne parviennent pas à dégager une majorité absolue, il revient à la Chambre des représentants d'élire l'un des trois candidats arrivés en tête. La Constitution américaine n'exclut donc pas, par principe, la désignation du Président par un détenteur du pouvoir législatif, ce qui est, pourtant, une des caractéristiques du régime parlementaire. D'aucuns pourraient opposer que le Président des États-Unis n'est pas, comme pourrait l'être un Chef de gouvernement, responsable devant les assemblées. Au sens strict, ce point de vue est exact. Mais la pratique du régime étas-uniens invite à nuancer ce propos. La procédure d'impeachment produit exactement les mêmes effets puisqu'elle incite le Président à démissionner, comme ce fut le cas de Nixon, en 1974. La procédure d'impeachment permet également de mettre en doute la séparation stricte des pouvoirs. Dans cette hypothèse, le détenteur du pouvoir législatif envahit le pouvoir juridictionnel puisqu'il statue en tant que juge. Il y a donc bien une porosité des fonctions. Celle-ci se retrouve encore lorsque le Président recommande des lois au Parlement et use de son veto. Il participe alors clairement à la fonction législative, sortant de sa mission exécutive. Inversement, le Sénat, amené à approuver les traités, s'évade, temporairement au moins, de sa sphère de compétence législative. Ces considérations, et bien d'autres encore, amène J. Boudon à penser que : « La séparation « rigide » des pouvoirs n'est pas seulement un concept creux ; c'est un concept inutile pour décrire le droit positif, surtout quand on prétend en faire une clé pour appréhender le système constitutionnel des États-Unis »[7].

  •   Le dépassement de la séparation des pouvoirs par la fusion des majorités  
  • Les pouvoirs peuvent bien être séparés, de manière souple ou rigide, une confusion de fait peut survenir lorsque les pouvoirs exécutif et législatif sont détenus par une même majorité. Le parti au pouvoir concentre alors les fonctions ; il en résulte que celles-ci ne sont plus séparées mais « solidaires »[8]. Cette fusion des majorités exécutives et législatives ne dégénère toutefois pas en une tyrannie. Les droits accordés à l'opposition préviennent une telle dérive. Reste que ces considérations de fait amènent à relativiser la séparation des pouvoirs, en la considérant comme « une fiction »[9]. Le doyen Vedel ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que la véritable séparation est « la séparation entre pouvoir majoritaire qui d'un seul tenant est à la fois exécutif et législatif, et opposition »[10] 

    [1] Ce troisième pouvoir est souvent appelé « pouvoir judiciaire ». Cette terminologie peut néanmoins induire en erreur puisqu'elle semble indiquer que le pouvoir judiciaire est celui qu'exercent les autorités judiciaires. Or, la justice est, en France, rendue tant par le juge judiciaire que le juge administratif. Il convient donc de préférer la dénomination « pouvoir juridictionnel » à celle, plus usitée, de « pouvoir judiciaire ».

    [1] Gicquel (J), Gicquel (J-E), Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 23ème éd., 2009, p. 133. [2] Gicquel (J), Gicquel (J-E), Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 23ème éd., 2009, p. 134. [3] Lesne (C), La ténacité d'Obama, Le Monde, 21 mars 2010. [4] Gicquel (J), Gicquel (J-E), Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 23ème éd., 2009, p. 135.

    [1] V. notamment : Conseil constitutionnel, 30 juillet 1982, Blocage des prix, n° 82-143 DC.   [2] Boudon (J), Le mauvais usage des spectres. La séparation « rigide » des pouvoirs, RFDC, 2009, n° 78, p. 267. [3] Ardant (P), Mathieu (B), Institutions politiques et Droit constitutionnel, LGDJ, 21ème éd., 2009, p. 71. [4] Ardant (P), Mathieu (B), Institutions politiques et Droit constitutionnel, LGDJ, 21ème éd., 2009, p. 72. [5] Vedel (G), La Continuité en France de 1789 à 1989, in Association française des constitutionnalistes, Journées d'études des 16-17 mars 1989, Aix-en-Provence, PUAM - Economica, 1990, p. 148.

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